Mikio Naruse, tout simplement


Trois soeurs au coeur pur (Otome-gokoro sannin shimai, 1935)
Adapté d'un roman de Kawabata, le premier film parlant de Naruse montre une parfaite maîtrise de la technique, flashbacks et voix off compris. Au-delà de la fiction, l'évocation de la solidarité entre trois soeurs qui vivent d'expédients avec la cadette qui se sacrifie pour les deux autres, le film est un véritable documentaire sur le quartier d'Asakusa à Tokyo, avec ses bars, ses restaurants, ses dancings et ... ses mauvais garçons. Deux scènes, au moins, qui traitaient de la prostitution dans ces lieux mal famés ont été censurées. Reste une oeuvre plus intéressante pour son atmosphère et son lyrisme serein que pour son récit proprement dit.


Toute la famille travaille (Hataraku ikka, 1939)
Sous la pression du gouvernement, les cinéastes japonais avaient l'obligation de filmer des histoires qui soient des "tranches de vie" édifiantes et positives. Ici, une famille de 11 personnes vit sous le même toit et tout le monde doit y mettre du sien pour joindre, difficilement, les deux bouts. Parmi eux, des adolescents qui rêvent d'une meilleure vie, mais qui n'ont pas le choix. Le scénario n'est pas particulièrement exaltant et le film s'assombrit au fil des minutes. La guerre n'est pas loin et semble recouvrir de son voile noir le destin de ces jeunes garçons. Funèbre.


L'éveil du printemps (Haru no mezame, 1947)
Ah, mais voici un film charmant, frais et bucolique sur l'adolescence, quand la sève envahit les corps d'une sensation nouvelle. Le sujet en est bel et bien la sexualité, une question qui taraude nos jeunes héros et à laquelle ces benêts d'adultes semblent bien incapables de répondre correctement. Naruse oscille entre légèreté et gravité, filme les fous rires et les pleurs avec un tact et une sensibilité extrêmes. Le fil conducteur est mince, qu'importe, ces saynètes qui se suivent dans des tonalités diverses composent un film élégiaque, exaltant et épanoui. Une bien jolie chose, en vérité.


La rue en colère (Ikari no machi, 1950)
La période 1945-1952, qui correspond à l'occupation américaine du Japon, est généralement considérée comme la plus faible dans l'oeuvre de Naruse. Ce n'est en tous cas celle des grands mélodrames du milieu des années 50, et La rue en colère est davantage assimilable à un film noir, avec un aspect documentaire très prégnant sur les difficultés de la vie urbaine, pour des japonais obligés de vivre d'expédients, tandis que la petite criminalité se développe. Le film est le portrait d'un cynique, Sudô, dont la belle gueule lui permet de draguer de jeunes filles riches et naïves, avant de les escroquer. Le personnage est sombre et quasi irrécupérable, malgré un semblant de happy end. Autour de lui, se meuvent une dizaine de personnages, dont sa soeur, sa mère et son meilleur ami, auxquels, tour à tour, le cinéaste offre des scènes importantes, avec cette limpidité et cette rapidité dans l'art du montage elliptique qui est sa marque de fabrique. Il y a notamment un flash back d'une trentaine de secondes, qui se situe pendant la guerre, qui éclaire d'un coup une personnalité sans avoir besoin d'y revenir. Du travail de virtuose. A l'aune de l'ensemble de la carrière de Naruse, La rue en colère ne peut certes pas être considéré comme un chef d'oeuvre. Ce n'est qu'un très grand film.


La danseuse (Maihime, 1951)
Pour tous les experts du maître nippon, il s'agit d'un "petit" Naruse, du fait d'une intrigue principale floue et parasitée par d'autres histoires, alors que, la même année, le cinéaste tourne deux très grands films : Le repas et Le fard de Ginza. C'est juste, mais c'est une aussi une oeuvre qui s'imbrique parfaitement dans le mur de mélancolie qu'est le cinéma de Naruse, contre lequel se brisent les vagues de l'océan et les larmes des femmes. La danseuse, tirée d'un roman de Kawabata, est le récit du naufrage d'une famille, il y règne comme une sourde nostalgie de la guerre, quand les choses étaient plus simples, puisqu'il fallait surtout penser à survivre. Avec la paix, et la liberté retrouvée, les personnages du film sont confrontés à des choix impossibles. La mère, ancienne danseuse de ballet, et sa fille, qui suit ses traces, ont une alternative : renoncer au bonheur ou renoncer au confort de l'habitude. La mise en scène de Naruse épouse cette indécision avec des travellings arrière moelleux comme des cookies sortis du four. Le dénouement, sur la musique du Lac des cygnes, est d'un lyrisme discret, poignant. Et ce n'est qu'un "petit" Naruse !


Okuni et Gohei (Okuni to Gohei, 1952)
Le tout dernier film de Naruse pendant l'occupation américaine. Une adaptation d'une pièce en un acte de Tanizaki, écrite trente ans plus tôt, et qui se voulait une sorte de satire des histoires de vengeance au temps des samouraïs. Un film situé dans l'ancien Japon, donc, ce qui est rare dans le cinéma de Naruse. La mise en scène est élégante et douce, la romance amoureuse impossible entre Okuni et Gohei prend vite le pas sur le thème de la vengeance, mais l'ensemble reste hiératique et l'interprétation fort théâtrale. Un film moyen et, par conséquent, une petite déception pour les inconditionnels du cinéaste nippon.


16/01/2011
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