Cinéma
Cadres en crise supérieure (The Company Men)
Tiens, un film américain qui montre les effets de
la crise économique, la politique de licenciements massifs des grands
groupes, le cynisme des patrons aux poches bourrées de stock options ...
Bon, on se calme, The Company Men n'est pas précisément une oeuvre
d'extrême gauche et son discours est un peu raboté par les conventions
hollywoodiennes, mais quand même... Le personnage d'ouvrier, joué par
Kevin Costner (welcome back !) balance quelques vérités de temps à autre
qu'on a peu l'habitude d'entendre dans un cinéma aussi formaté. C'est
un honnête film sur le chômage, certes celui de cadres supérieurs qui ne
feront pas pleurer dans les chaumières, qui est d'une sobriété
exemplaire, sans apitoiement excessif et dont l'humour occasionnel est
le bienvenu. Bien écrit, le film pâtit cependant d'une mise en scène
d'une grande platitude qui ramollit quelque peu l'intérêt. On ne
s'ennuie pas pour autant grâce à une interprétation aux petits oignons.
Ben Affleck, Chris Cooper et un Tommy Lee Jones aux taquets hissent The
Company Men au-dessus du commun de la production américaine. Pas à la
catégorie cadre supérieur, c'est entendu, mais largement plus haut que
le minimum syndical.
Un charme frelaté (Je n'ai rien oublié)
Small World, le roman du suisse Martin Suter, est
un thriller familial où un Alzheimer fait remonter à la surface des
secrets enfouis depuis longtemps. Le livre est gonflé, cinglant et
destructeur. Son adaptation par Bruno Chiche, dans Je n'ai rien oublié,
est aseptisée, les conflits y sont tempérés par le passage du temps et
le suspense y est vite éventé. Malgré cela, il y a une vraie atmosphère
dans le film, une parfum de chic bourgeois moisi par les hypocrisies et
les mensonges nécessaires pour tenir son rang. Les deux personnages en
marge, celui de Depardieu (excellent) et d'Alexandra Maria Lara
(superbe), sont les plus choyés par la réalisation, les plus étoffés,
quoique gardant une part de leur mystère. Leur alchimie incongrue fait
en tous cas tenir le film debout. Le reste de l'interprétation est
remarquable, d'autant plus que les rôles sont assez convenus : Arestrup,
Fabian, Baye ..., c'est du solide. Alors oui, on l'aurait voulu un peu
plus méchant et moins ouaté, ce film. Tel quel, avec ses langueurs et
son ambiance suranné, il a le charme frelaté des photos couleur sépia.
Hommage pitoyable à la comédie italienne (Chez Gino)
Samuel Benchetrit a fait illusion, mais pas auprès de tout le monde, avec J'ai toujours rêvé d'être un gangster, surchargé
de références cinéphiliques. Avec Chez Gino, il touche le fond, empêtré
dans un hommage pathétique à la comédie italienne. Les ringards qu'il
décrit dans son film ne sont même pas sauvés par une éventuelle empathie
de sa part, ils sont lourds et lamentables, et laissés à leur triste
sort par le cinéaste. Ne lui faisons pas l'honneur de citer Scola qui,
dans Affreux, sales et méchants, laissait deviner chez ses personnages
un semblant d'humanité. Et puis, c'était drôle, très. Pas Chez Gino, qui
est sinistre, très. L'histoire du film dans le film ne fonctionne pas
du tout, et on ne fait plus la différence entre la nullité voulue et
involontaire de l'entreprise. Ne parlons pas de navet, ce serait faire
injure à cette plante potagère qui, elle, a du goût. Le plus triste est
de voir José Garcia, qui n'en peut mais, et surtout la racée Anna
Mouglalis, embarqués dans cette pitoyable galère.
Les bas-fonds de Stockholm (Easy Money)
En définitive, Easy Money n'est qu'un bon petit thriller qui joue avec habileté la carte du réalisme. Le scénario s'éparpille de manière à faire riche et, aux trois personnages principaux, s'ajoute une tripotée de malfrats de nationalité diverses dont le but est de mettre la main sur un camion de cocaïne en provenance d'Allemagne. Sur le fond, donc, rien bien de neuf sous le polar, l'intérêt est ailleurs. Dans la description des bas-fonds de Stockholm avec ses mafias cosmopolites : serbe, albanaise, arabe, latina, etc. Dans la mise en scène nerveuse, sous une lumière crue, branchée, mais pas toujours, sur la haute tension. A l'instar de ses grands modèles américains, Daniel Espinosa, incontestablement doué, ménage des pauses et s'attarde sur la vie familiale ou amoureuse de ses trois desperados. Risqué, mais gratifiant, car jamais gratuit ni sucré. Le cinéaste tient la note et se risque même sur le terrain social avec un portrait d'étudiant sans ressources, à la fois romanesque et en déphasage complet avec les milieux qu'il côtoie. L'argent, la famille, la drogue, la mort : les ingrédients sont connus, il suffit de savoir les doser. Pour un film qui ne réinvente pas la poudre mais qui s'ingénie à la faire parler.
Névrose contre inceste (Tous les chats sont gris)
Elle semble bien incongrue l'accroche marketing
qui figure sur l'affiche de Tous les chats sont gris : "Une comédie très
noire." D'accord pour la noirceur, mais pour la comédie, on repassera.
C'est un film finlandais produit par le maître Kaurismäki, mais à
l'univers guère comparable, à moins de considérer que tout ce qui vient
des pays nordiques est obligatoirement teinté d'humour sombre. La
réalisation glaciale d'Aleksi Salmenperä rend suffocante cette histoire
d'un tyran domestique, père qui a élevé seul son fils et qui voit
débarquer sa fille, qu'il ne connaît pas, à la mort de sa première
femme. L'entente entre le frère et la soeur, dont la connivence est
immédiate, provoque une jalousie violente chez leur géniteur, au point
que celui-ci imagine des rapports incestueux. Le film est assez malin,
d'ailleurs, pour ne montrer que peu de scènes entre les deux jeunes
gens, laissant libre cours à notre imagination et se focalisant sur la
névrose du père. La mise en scène, statique, et le découpage, monocorde,
créent un climat plus étouffant que captivant et empêchent le film
d'atteindre les sommets. Passons sur le dénouement, gentillet, qui est à
contre-courant de la grise tonalité entretenue avec soin pendant près
de 90 minutes.