Témoin de l'abomination (Jan Karski)
Jan Karski de Yannick Haenel n'est pas un roman comme les autres. Son sujet : la vie d'un polonais qui fut le premier témoin de la politique d'extermination de la communauté juive par le régime nazi et qui tenta, sans succès, de convaincre les gouvernements alliés d'agir contre cette abomination. La forme est étonnante : la première partie raconte le témoignage de Karski, des années plus tard, dans le film Shoah, la deuxième est un résumé du livre publié en 1944 par ce même Karski. La dernière partie, seule, relève de la fiction quand l'auteur se met dans la tête de cet homme au soir de sa vie. Elle est bouleversante, tout en rage et en désolation. Les alliés savaient-ils pour l'Holocauste ? Pour Karski, sans aucun doute, et ils n'ont rien fait. Cette certitude, contestée par un certain nombre d'historiens, ne doit pas faire passer à côté de la force littéraire de ce "roman". Un vrai tour de force, d'une grande puissance, qui pose aussi la question de la liberté de l'écrivain. Est-il contraint, oui ou non, de respecter la vérité historique (officielle) pour faire oeuvre de littérature ? Jan Karski a eu, toute sa vie, des nuits blanches causées par ce qu'il avait vu en Pologne et par son impuissance à faire comprendre son message. S'il est un personnage historique (un Juste), il est aussi aujourd'hui héros romanesque sous la plume de Haenel. Ce n'est en rien choquant de le faire apparaître dans une fiction qui lui est consacrée. Plutôt un hommage à un homme hors du commun qui ne mérite pas de tomber dans l'oubli.