Avant le cyclone (Le navigateur endormi)

Un roman qui ressemble au sac et au ressac de la mer des Caraïbes. Et chaque vague, ou plutôt chaque chapitre, charrie des souvenirs du temps passé. Dans Le navigateur endormi, des personnages isolés dans un bungalow attendent. Un ouragan est annoncé, toute la parentèle des Godinez est là, y compris les pièces rapportées. Beaucoup de vieux, plus de 90 ans pour la plus ancienne, et quelques jeunes. Et des fantômes qui rôdent, personnes disparues, souvent de mort violente.
Le livre d'Abilio Estevez se dévoile au fur et à mesure. Il faut beaucoup de patience pour découvrir les liens de parenté entre la vingtaine de personnages qui emplissent le roman de leurs présences et les écouter, tout à tour, raconter dans une sorte de monologue, leur histoire, qui recoupe celle de Cuba, depuis le début de vingtième siècle. Et leur isolement, leur déréliction, est plus que symbolique de l'état de cette île qui, sous la plume d'Estevez, est davantage un enfer qu'un paradis.
Se laisser aller, ne pas chercher à combattre la marée, sinon Le navigateur endormir a tôt fait de vous engloutir. L'écriture est déliée, loin du style baroque que l'on associe volontiers aux romans latino-américains. Elle se fait onirique à l'occasion, mais sans excès, souvent tranchante et réaliste pour décrire les maux endémiques de Cuba, liés en particulier aux gouvernements qui se sont succédé des dictateurs d'opérette manipulés par les américains au régime castriste, guère ménagé.
L'un des bonheurs du livre est son érudition immense. On y évoque les écrivains cubains, le cinéma hollywoodien, le jazz, l'existentialisme, et mille autres références culturelles, sans pédantisme, avec une ouverture sur le vaste monde qui contraste avec la "petitesse" de Cuba.
Fuites en bateau qui ressemblent à des suicides, deuils à répétition, désillusions, la tragédie est le lot de la famille Godinez. Elle attend l'ouragan avec une sorte de fatalisme. A Cuba, quand on n'est pas au milieu d'un cyclone, c'est qu'un autre se prépare et ne va pas tarder. Ainsi va la vie dans cette île "ridicule" aux yeux du monde, constate Abilio Estevez avec les mots d'un pessimiste invétéré et sans doute nostalgique, qui vit aujourd'hui à Barcelone et qui clôt ainsi sa trilogie cubaine après Ce royaume t'appartient et Palais lointains.



25/11/2010
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