L'Australie au vitriol (La gifle)

Ce n'est pas un roman, c'est une bombe à neutrons ! La gifle, de Christos Tsiolkias, auteur australien au profil grec, a tout de la comédie de moeurs qui pète les plombs, portrait au vitriol d'un pays vanté pour son Melting pot, en pleine dégénérescence et perte de valeurs, qui en revient à des réflexes primaux pour protéger son territoire menacé. Revenons au point de départ : un type un peu énervé flanque une gifle à un enfant qui n'est pas le sien, au comportement insupportable. L'affaire pourrait se régler à l'amiable, à l'aimable même puisque nous sommes en présence de gens de bonne compagnie. Que nenni, l'incident va au contraire obliger chacun à prendre parti et, ce faisant, à libérer les inimitiés, faire voler en éclat le vernis de cette nouvelle bourgeoisie de Melbourne, dénouer les hypocrisies recuites. Et Tsiolkias de se délecter des mauvais penchants de ses congénères, une bonne quinzaine de personnages au total, dont chacun a droit à son chapitre, tout en faisant avancer son récit vers un point de non retour, avec une redoutable efficacité. Christos Tsiolkias a le talent des grands conteurs, celui de se glisser au plus profond de la psychologie des acteurs de son roman, sans nous épargner aucune de leurs turpitudes. Son écriture est cinglante, moderne, vulgaire (pour coller aux pensées de ses protagonistes) et outrepasse parfois les bornes. Sans oublier une propension à décrire des scènes de sexe, avec une crudité qui est plus que limite. Des excès qu'on pardonne volontiers au romancier tant son livre est dense, d'une richesse inouïe et d'un manque de pudeur total. Au-delà du contexte australien, ce sont nos sociétés occidentales et les monstres qu'elle a engendrés qui en prennent pour leur grade : racisme rampant, consumérisme aveuglant, palliatifs pitoyables : drogue, alcool, sexe et autres excitants. Le politiquement correct ne résiste pas à ce jeu de massacre orchestré de main de maître. Ne reste plus aux personnages de La gifle qu'à se calfeutrer dans leurs certitudes confites et à tenter de se réchauffer dans le cocon familial et les réflexes communautaires. Peine perdue, le cataclysme a aussi brisé ces refuges. Il reste quoi ? La solitude et de sombres compromis, faut-il dire compromissions ?, pour continuer à vivre en société. Arme de destruction massive de nos civilisations en totale décadence, le livre de Christos Tsiolkias est un miroir dans lequel il ne fait pas bon se regarder et qui ne plaira pas à tout le monde. Provocateur né, l'auteur n'y va pas avec le dos à la cuiller ; sa méthode, c'est plutôt de planter le couteau dans la plaie et de le tourner avec sadisme. C'est excessivement violent, euphémisme, mais c'est magistral de bout en bout.




07/02/2011
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