La chanteuse juive errante (Wiera Gran, l'accusée)
Café Sztuka, 1941, à l'entrée du ghetto de Varsovie. C'est là que chante
chaque soir Wiera Gran, accompagnée d'un certain Wladyslaw Szpilman,
personnage magnifié par le film de Polanski, Le pianiste. Wiera Gran,
étoile juive, devra se justifier devant un tribunal de son comportement
et de ses relations avec la police juive du ghetto et les nazis, dès la
fin de la guerre. Elle sera finalement acquittée, mais pas lavée de tous
soupçons, à jamais marquée par cette période noire. Le livre que lui
consacre Agata Tuszynska n'est pas une biographie au sens strict, il est
basé sur les entretiens qu'elle a obtenu de la chanteuse déchue, au
soir de sa vie, dans son petit appartement parisien, à demi-folle et
atteinte du délire de la persécution. L'auteure a rencontré de nombreux
témoins de l'époque, lu tous les documents existants. Oui, ou non, Wiera
Gran a t-elle collaboré avec les gestapistes ou a t-elle été victime
d'une véritable cabale ? Agata Tuszynka sans trancher clairement semble
pencher pour la thèse de son héroïne. Que de zones d'ombre, pourtant,
que de contradictions dans les dires des uns et des autres ! Ce livre
met mal à l'aise, pas pour ce qu'il raconte, mais pour ce qu'il laisse
entendre. Szpilman, devenu une véritable icône en Pologne, ne parle pas
de Wiera Gran dans ses mémoires ; elle est également absente du film de
Polanski. Etrange. De là à l'accuser, comme le fait la chanteuse,
d'avoir lui, été un temps membre de la police juive du ghetto ... Ce qui
est gênant, c'est que Tuszynska, sans l'ombre d'une preuve, laisse
planer le doute. Et n'est pas loin de donner raison à Wiera Gran. Ces
allusions et interprétations sont un scandale pour le fils de Szpilman,
qui a menacé l'éditeur polonais du livre pour "calomnies et mensonges."
Tout dans ce "document fiction" est sujet à caution. Agata Tuszynska
pose de nombreuses questions, sans jamais répondre à aucune. Elle ne
détient pratiquement aucune certitude historique mais ne peut
s'empêcher, dans un exercice souvent narcissique, où elle s'arroge en
juge, d'échafauder des hypothèses. D'une manière qu'on a le droit de
juger plus ou moins honnête. 70 ans après les faits, les principaux
acteurs, Gran et Szpilman notamment, sont morts. Et bien des mystères
demeurent. La vie de Wiera Gran après la guerre, son statut de juive
errante, de chanteuse itinérante qui se produisit à Paris, Caracas, Tel
Aviv ..., toujours poursuivie par les soupçons et la "calomnie"
n'occupent qu'une partie infime du livre. Visiblement, Agata Tuszynska a
cherché avant tout la polémique, à défaut de la vérité, puisque
celle-ci reste introuvable. Son livre sent le soufre et ce n'est pas la
plus agréable des odeurs.