Les trois rabbins (A serious man)
Un film des frères Coen, en général, se raconte difficilement tant chaque scénario n'est qu'une pierre de l'édifice dont le style constitue les fondations. A serious man va bien plus loin, sur le fond, que tout ce qu'ils ont pu tourner jusqu'alors. Leur film le plus personnel, nourri de leurs souvenirs d'enfance, c'est indéniable. D'aucuns prétendent qu'il est nécessaire d'être érudit en matière de culture juive pour déchiffrer la signification du film. Très vrai, mais il n'est pas interdit pour autant aux goys d'y prendre un plaisir extrême (même remarque concernant le mythique Jefferson Airplane de Grace Slick). Le cauchemar du héros des Coen, qui tombe de Charybde en Scylla, ressemble à une lente chute d'avion ... sans parachute. A la reconstitution fabuleuse de l'esthétique des années 60, à la mise en scène précise et brillante, s'ajoutent des dialogues dont l'inocuité apparente déclenche, par son caractère absurde (mais sérieux), un inextinguible fou rire intérieur. Quant aux situations de plus en plus dramatiques que vit le personnage principal (y compris la touche finale), elles provoquent par leur empilement comme une sorte de jubilation sadique. Les scènes avec trois rabbins successifs, loufoques, sont comme le point d'orgue de cette oeuvre hors du commun, d'une intelligence et d'une maîtrise jamais atteintes par les frères cinéastes (sauf peut-être dans No country for old men auquel est lié A serious man, si l'on considère que l'un est tout en bosses et l'autre tout en creux). A part ça, un film des frères Coen ne se raconte pas, mieux vaut le voir pour le croire, et encore, en se pinçant très fort.