Mise en abyme au bord de l'abîme (En censurant un roman d'amour iranien)
Pour une fois, la quatrième de couverture ne ment
pas. "En censurant un roman d'amour iranien réconcilie de façon
magistrale Le procès de Kafka, La ferme des animaux d'Orwell, et les
contes des Mille et une nuits." Le livre de Shariar Mandanipour est un
roman, c'est indéniable, mais c'est aussi un essai sur les affres d'un
auteur iranien qui doit échapper aux ciseaux de la censure et, plus
encore, un document sociologique de première main sur un pays devenu
schizophrène et paranoïaque. Résumons la chose : un écrivain iranien
tente de rédiger un roman d'amour, qui apparait en corps gras dans le
livre, avec des bouts de phrases fréquemment rayés, car susceptibles
d'être censurés. Ledit écrivain nous raconte également le vrai roman,
qui ne serait pas expurgé des passages "licencieux". Et pour couronner
le tout, Mandanipour interpelle sans cesse le lecteur, dialogue en toute
courtoisie avec le grand censeur du ministère de la culture et
s'autorise moult digressions sur le quotidien des citoyens iraniens. Le
tout, dans une langue chatoyante, parfois crue, en citant aussi bien les
grands poètes perses que des films occidentaux récents. Hafez y côtoie
Lorca et James Bond dans un cocktail détonant, où l'humour et
l'auto-dérision se glissent en douce comme un malicieux chat persan. Du
quoi y perdre son farsi ? Oh oui, le lecteur est parfois déboussolé,
mais l'auteur en est au même point et présente ses excuses avant de
reprendre son histoire impossible. En censurant une histoire d'amour est
un livre qui passe du tragique à l'absurde en un tour de main, hommage
appuyé au peuple iranien qui, malgré les brimades et les interdictions,
résiste et se joue des lois islamiques, avec ce talent pour la survie et
la débrouillardise goguenarde qu'ont tous les peuples opprimés. Et
cette littéraire mise en abyme, dans un pays au bord de l'abîme, est
tout bonnement remarquable.