Noeud de vipères en Malaisie (Et c'est le soir toute la journée)
Le récit d'Et c'est le soir toute la journée
débute en 1980. Et c'est la fin de l'histoire. La déchéance d'une bonne à
tout faire, la mort d'une vieille dame, le départ vers l'Amérique d'une
jeune fille. Trois personnages féminins, auxquels il faut ajouter ceux
d'une mère de famille au bord de la crise de nerfs et d'une fillette de 6
ans névrosée, qui sont au coeur du roman de Preeta Samurasan, les
hommes n'y jouant qu'un rôle subalterne. Habilement, la romancière va
revenir en arrière, tisser la toile du temps à l'envers, et expliquer
pourquoi on en est arrivé là. L'histoire est avant tout celle d'une
famille indienne en Malaisie, plutôt aisée, mais souffrant du complexe
des minorités de ce pays, à l'instar de la communauté chinoise, qui
semble plus que dubitative (comme l'auteure, sans aucun doute) quant à
l'harmonie multiraciale dont se vantent les autorités de ce pays
musulman et, en principe, démocratique et sans discrimination d'aucune
sorte. Ceci, c'est l'arrière plan, car plus on remonte dans le temps au
fil du roman, plus le noeud de vipères que constitue la cellule
familiale devient patent, nourri de rancoeurs et de jalousie recuites.
La belle-mère hait sa bru qui le lui rend bien, la fille cadette essaie
de ressembler à l'aînée, sans y parvenir, se rapproche de la servante
tamoule, avant de la trahir. Quant au père, sans doute lassé par cet
atmosphère vicié, il s'est construit un autre foyer, avec une femme
chinoise. Samarasan raconte les petits et grands événements de cette
maison indienne, avec un luxe de détails et de descriptions inouïs, une
cruauté insensée, et un style luxuriant qui demande une attention de
tous les instants. Ce roman, entre Proust, Balzac et Mauriac, toutes
proportions gardées, est très exigeant et parfois aride, et d'une
lenteur languissante. Il n'en reste pas moins un véritable tour de
force, écrit dans une langue superbe, riche en portraits psychologiques,
d'une effarante précision. Il y a un grand souffle à l'intérieur, le
même qui est nécessaire pour en venir à bout.