On dirait le sud ... (Le secret de Jasper Jones)

Il était une fois dans l'ouest australien. Un été moite où des secrets inavouables vont remonter à la surface, avec une forte odeur d'égout, dans cette petite ville de Corrigan, bien sage en apparence, corsetée dans ses préjugés, confite dans son souci de respectabilité. Bon sang, mais c'est bien sûr, on dirait le sud ... des Etats-Unis, les paysages du bush remplaçant sans effort ceux du Mississipi.
Deuxième roman de Craig Silvey, jeune prodige australien de 28 ans, Le secret de Jasper Jones est davantage qu'un hommage aux auteurs américains, en général, et à Mark Twain, en particulier. L'oeuvre de ce dernier l'a inspiré fortement pour créer un climat délétère autour de son héros de 13 ans, sorte de Huckleberry Finn local, avec un peu moins de culot et de vivacité d'esprit que l'original. Le livre utilise une intrigue de polar pour sa mise en place, mais le récit se révèle plutôt psychologique, dans la tête de son personnage principal, Charlie, bouleversé par des découvertes qui dépassent son entendement : la mort, l'inceste, le racisme, l'adultère ..., et aussi, et surtout, chronique d'une ville qui ne supporte pas les têtes qui dépassent. Dans un genre très classique, le roman d'apprentissage, Craig Silvey se montre très doué, poussant le bouchon fort loin avec une désinvolture et une tranquillité désarmantes alors que le pire se produit. Les portraits, d'une précision clinique, des "amis" de son jeune héros, l'un à moitié aborigène, l'autre d'origine vietnamienne, et tous les deux marginaux et victimes de l'intolérance des bien-pensants, permettent à Silvey de décrire avec acuité le sentiment de transgression qu'éprouve Charlie, entre excitation et épouvante. Même son idylle naissante avec la plus belle fille de l'école a un côté non conventionnel et le romantisme qui s'en exhale sent un peu la vase. On peut reprocher au livre au moins deux choses. Primo, de nous mener en bateau : Charlie, à 13 ans, analyse les événements avec une telle maturité qu'il ressemble davantage à un adulte. C'est d'ailleurs le décalage avec son comportement, qui est lui celui d'un garçon de son âge, qui crée un effet grotesque et parfois même hilarant. Secundo, ce côté "à la manière de", en décalque de Mark Twain, a quelque chose d'excessif dans le sens où cela dépasse largement le stade du simple clin d'oeil.
A ces réserves près, Le secret de Jasper Jones est un roman brillant, d'un style excessivement sobre, qui ménage ses effets jusqu'à un suspense terrible, et dont le caractère malsain, voire sordide, s'efface derrière la maîtrise d'une écriture calme et presque douce, y compris dans les scènes d'horreur. Craig Silvey est un conteur dont on pressent qu'il a encore bien des histoires dans sa besace à nous offrir. Vivement !



08/09/2010
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