Un grand film triste (Another Year)
Dans le cinéma de Mike Leigh, la tonalité n'est
jamais tout à fait gaie ou sombre à 100%. Mais il y a toujours une
dominante, celle de l'optimisme, même forcé, dans Be Happy, par exemple.
Another Year, lui, est aux antipodes de ce dernier film. Dans ses
quatre saisons, qui lui donnent une scansion toute particulière, le
printemps et l'été peuvent faire illusion, mais en plein hiver les
masques tombent et la noirceur s'installe pour de bon (voir ce gros plan
final, d'une longueur étonnante, qui clôt le film de façon magistrale).
Tom et Geri, les deux figures centrales d'Another Year, ne sont que les
miroirs d'autres vies. Leur bonheur à eux à quelque chose
d'énigmatique, de suspect même. Que dire de la plupart des
personnages, dont l'existence part en capilotade et en alcools divers,
ils ne sont rien moins que pathétiques et Leigh, humaniste patenté, ne
leur fait cette fois aucun cadeau. A son démarrage, Another Year fait
souvent penser à Woody Allen, les réparties fusent à une vitesse
supersonique, chacun y fait montre d'une auto-dérision bienvenue. Ca ne
durera pas une année entière. Mike Leigh est très fort pour écrire des
dialogues en apparence anodins, des conversations qui n'engagent à rien.
Du vernis. Les acteurs, bizarrement, semblent en surchauffe au début du
film. De tendresse, de "Je vais bien, tout va bien." Ce sont leurs
personnages qui surjouent leur propre vie, d'une certaine façon, la
suite le montrera. D'apparence modeste, Another Year parle de l'usure du
temps et du sentiment de l'échec avec une acuité et une lucidité
terribles. La première scène, qui semble hors sujet, rejoint la toute
dernière dans un constat sans aménité sur des vies en perdition. Comme
une boucle qui se referme. Et le cycle des saisons reprend ses droits,
le temps n'en finit pas de grignoter des parcelles de vie. Mike Leigh a
signé un grand film triste qui va bien au-delà de la simple mélancolie.