11 fois coupables (Crimes)
Quel est donc ce sentiment inconfortable qui
saisit le lecteur, au moment de refermer Crimes, le recueil de nouvelles
de l'avocat pénaliste Ferdinand von Schirach qui a fait un tabac
outre-Rhin ? Une sorte de malaise, tenant au fait que le narrateur
raconte des histoires vraies, mais jusqu'à quel point ?, dans un style
laconique, glacé, avec en arrière-plan un cynisme qui fait froid dans le
dos. Au-delà, il y a aussi le soupçon que le livre tient du coup
marketing, misant sur notre désir, plus ou moins avouable, de pénétrer
l'esprit des criminels, de fouiller la psychologie d'individus qui ne
sont pas loin de nous ressembler, avec la seule différence qu'ils sont
passés à l'acte. Von Schirach est un malin, ses 11 nouvelles sont très
différentes les unes des autres, certains "crimes" sont horribles, mais
pas tous ; il commence avec une affaire saisissante : celle d'un vieil
homme qui a assassiné son épouse après 50 ans de vie commune ; il
termine avec la plus belle histoire, celle d'un minable braqueur de
banques en Allemagne, qui devient une sorte de bienfaiteur en Ethiopie.
Les récits sont intéressants quand ils nous font découvrir les rouages
de la justice, moins quand l'auteur s'en tient aux faits, dans leur
brutalité. Ce n'est pas de la littérature à proprement parler. Von
Schirach ne cherche pas à en faire, même s'il lui arrive de se départir
de son écriture factuelle, et de philosopher, au détour d'un paragraphe :
"Le renard sait beaucoup de choses, mais le hérisson sait quelque chose
d'important." Crimes ressemble davantage à du journalisme
d'investigation, bien documenté, et pour cause, et justement ciblé, son
succès le prouve. L'amateur de polars pourra y prendre un certain
plaisir, mais rien de commun avec un bon vieux roman policier, aussi peu
crédible soit-il. Souvent, la fiction dépasse la réalité, et c'est très
bien comme cela.