Les enfants de la mercière (La part de l'homme)
Au début de La part de l'homme, le lecteur
peut s'installer benoîtement dans une histoire que Kari Hotakainen lui
présente dès les premières pages, celle d'un écrivain en panne
d'inspiration qui paie une ancienne mercière pour lui raconter sa vie,
existence qu'il transformera à son gré dans son futur roman. Au fur et à
mesure du récit, le dit lecteur va pourtant perdre les pédales,
embarqué dans une aventure qui n'a rien de confortable. Au point qu'il
ne sait plus à quel saint se vouer. Que lui raconte t-on ? Le livre que
l'écrivain, évoqué plus haut, a mijoté ? La commerçante qui aurait pris
la plume pour dire la vérité, toute la vérité ? Le fils et les filles de
la mercière n'ont manifestement pas la vie que leur mère imagine, ou
bien est-ce le romancier qui extrapole et fabule ? Il ne faut pas
compter sur Hotakainen pour livrer une réponse claire. D'ailleurs, ce
qui l'intéresse au premier chef, c'est plutôt de parler de la Finlande
d'aujourd'hui, qui, à l'en croire, ressemble à un pandémonium. La faute à
la société de consommation et à l'esprit de compétition qui ont essoré
les corps et les âmes de tout un peuple. Le constat est apocalyptique et
le style de Hotakainen, en constante évolution au fil des pages,
devient d'un laconisme sombre et définitif pour décrire des êtres à la
dérive. Les quelques parcelles d'humour qui existaient dans la première
partie du livre s'envolent peu à peu. Comme aspirées, elles aussi, par
une société qui dévore ses propres enfants. Au même titre que Tsiolkas
dans La gifle, Hotakainen tire sur tout ce qui bouge, dans ce monde qui
se prétend moderne, et n'est que barbare. On en ressort littéralement
lessivé.