Casseuse de cailloux (Photo de groupe au bord du fleuve)
La première surprise de Photo de groupe autour du fleuve, du congolais Emmanuel Dongala, est son écriture à la deuxième personne. "Tu te réveilles le matin et tu sais d'avance que c'est un jour déjà levé qui se lève" ; dès le début de son roman, l'écrivain s'adresse ainsi à son héroïne et n'utilisera jamais le "je" ou le "elle" dans son récit. Ce procédé ne tient pas pour autant le lecteur à distance, au contraire, il permet une empathie certaine avec cette femme qui va se révéler à elle-même au fil du livre. Photo de groupe autour du fleuve décrit la lutte d'un groupe de femmes (casseuses de cailloux) pour une rémunération plus juste mais comme le dit l'une d'entre elles : "Question de dignité, mes amies. Nous ne nous battons pas seulement pour un meilleur prix pour nos sacs, mais aussi pour qu'on nous respecte." Dans un pays africain non nommé mais qui ressemble fort au Congo, Dongala décrit l'héroïsme tranquille de femmes sans cesse bafouées et humiliées dans une société qui se veut une démocratie mais qui ne fonctionne que par la corruption et la concussion. Le roman est une sorte de "Feel good Book" dont les bons sentiments ne sonnent jamais de façon niaise, de par la force incroyable de la prose de Dongala, toujours juste et caustique avec un sens de l'humour dévastateur. Intégrées habilement au récit, les histoires personnelles de ces femmes sont marquées par le drame (sida, mariage forcé, grossesse "attrapée dans la rue"...) et la volonté de s'en sortir malgré tout, quitte à casser des pierres pour un salaire de misère, en attendant mieux. Un portrait sans concession d'un pays africain comme beaucoup d'autres, écrit dans une langue chamarrée et ironique, qui a des allures de conte de fées moderne parce que Dongala croit dur comme fer que les femmes sont l'avenir de l'Afrique. Et nous aussi, par la même occasion. Bref, ce livre est une pure splendeur qui se dévore dans un état de quasi euphorie.