Deux femmes en Estonie (Purge)
Purge est un livre qu’on ne peut commenter en quelques lignes. En même
temps, en dire trop et déflorer le récit, c’est vraiment dommage. Pour
être honnête, le début du livre est ardu. La mise en place est
minutieuse à l’envi, gorgée de détails, avec cette rencontre entre Zara
la jeune et Aliide, la vieille. Elles se reniflent comme deux chiens,
méfiantes, on sent qu’il y a un lourd passé derrière elles, des secrets
inavouables, un lien entre elles, peut-être. L’atmosphère est pesante et
ces prémices sous forme de huis clos sont étouffantes, quasi théâtrales
(normal, le récit vient de la pièce écrite auparavant par Oksanen).
La suite est prodigieuse et nous balade d’une époque à une autre, dans
plusieurs lieux distincts (Vladivostok, Berlin et toujours l’ouest de
l’Estonie). Pas besoin de GPS, cependant, chaque chapitre indique dates
et endroits où se déroule l’action. Il faut juste se souvenir de points
de repères essentiels : 1920, constitution de la République d’Estonie ;
1941 : occupation par l’Allemagne ; 1944 : L’armée rouge prend le
contrôle avant que l’Estonie ne soit intégrée à l’Union Soviétique ;
1991 : l’indépendance est rétablie.
Le lecteur passe sans transition d’une époque à une autre, sans jamais
perdre le fil. Au fur et à mesure, la pelote de laine se dévide, les
secrets se révèlent. Tout devient clair.
La confrontation de ces deux femmes estoniennes (l’une ne l’est pas
stricto sensu, certes, mais bon) est au coeur du roman. Oksanen y
revient toujours parce que c’est le point de convergence de l’histoire
d’un pays ballotté par des vents contraires et qui a connu trop
longtemps la soumission forcée. Courageuses, ces femmes ? Cela va bien
au-delà et c’est restrictif. Ce qui fait la force de Purge, outre son
style, qui peut être tour à tour rageur, choquant, pornographique,
délicat et élégiaque, c’est l’incroyable finesse et complexité
psychologique de ses héroïnes. Courageuses, oui, surtout parce qu’elles
ont la volonté d’écrire leur destin, mais aussi jalouses, haineuses,
lâches, faibles, soumises etc.
Ici ou là, on lit que Zara serait une victime et Liide un bourreau. Ce
n’est évidemment pas aussi simple que cela. Le génie d’Oksanen est de
nous rendre ces caractères proches et immédiatement compréhensibles,
tout en gardant une part de mystère. Il faudrait aussi parler de la vie
de prostituée de Zara, sous emprise mafieuse, d’Ingel et de Hans,
personnages essentiels, de la notion de collaboration et de résistance
... Tellement dense, ce roman. Purge est-il un chef d’oeuvre ? Ce qui
est certain, c’est qu’on en ressort essoré et pantelant. Ca fait mal, et
tellement de bien.