Cinq sens en alerte (Les tendres plaintes)

Des êtres blessés. Fragiles. En reconstruction. Dans un lieu isolé, comme envahi par une nature apaisante et/ou inquiétante. Les tendres plaintes, le roman de Yoko Ogawa (dont la traduction a mis une petite quinzaine d'années à nous parvenir) est narré uniquement par Ruriko, sans contrepoint qui pourrait remettre en question sa vision des faits. Une femme en équilibre précaire, qui a pris la décision de quitter son mari infidèle, dont on soupçonne que l'esprit flirte avec un type de névrose difficilement identifiable. Le lecteur n'a pas le choix, il ne peut que suivre les pensées de cet esprit torturé, la façon dont elle raconte son passé et ses rencontres présentes, ses poussées de jalousie, ses inquiétudes, sa solitude, ses fantasmes. Dans ce monde flottant, où l'on pressent que perversité est soeur de douceur, Yoko Ogawa pousse parfois le symbolisme un peu loin. Juste un peu. Mais sa minutie obsessionnelle pour transcrire les états d'âme de son héroïne a quelque chose de fascinant, avec cette balance permanente entre tendresse et morbidité. Et le plus impressionnant est le don de Yoko Ogawa pour nous faire ressentir les choses, physiquement. Il n'est pas innocent que les principaux protagonistes du livre travaillent de leurs mains : Ruriko, calligraphe ; Nitta, facteur de clavecins et son assistante, Kaoru. Les autre sens sont aussi en alerte avec la musique de Rameau, les yeux que soignent le mari de Ruriko, les odeurs de la nature, omniprésente, le goût des mets des repas partagés qui sont l'occasion de révélations et de passages à l'acte. Sans parler du chien, sourd et aveugle, spectateur attentif et catalyseur de l'histoire. Plus la narratrice s'épanche, plus son mystère s'épaissit. La dernière scène est comme un renoncement, ou un nouveau départ. Les deux, peut-être ?




15/06/2010
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