Fables pour une époque cynique (Pain et tempête)
Vous en connaissez beaucoup, vous, des
livres dont vous devez interrompre la lecture à intervalles réguliers,
pour cause de fou rire incontrôlé ? Pain et tempête de Stefano Benni est
de cette race là et ce n'est pas sa seule qualité. De quoi s'agit-il ?
De la lutte d'un carré d'irréductibles d'un petit village du sud de
l'Italie, le plus souvent accoudés au comptoir du mythique Bar Sport,
contre des promoteurs immobiliers cyniques et une municipalité cupide.
De cette trame linéaire, Benni s'échappe sans cesse, parce que son goût
n'est pas pour les autoroutes rectilignes mais bien pour les sentiers de
traverse. Alors, l'auteur digresse, et nous offre une vingtaine
d'histoires annexes, comme autant de petites nouvelles aux allures de
contes populaires. Et ceci, en variant les styles, du grotesque
rabelaisien à la sagesse de Montaigne, quand ce n'est pas une atmosphère
fantastique qui vient nimber ces récits le plus souvent hilarants. Dans
Pain et tempête, on rencontre beaucoup d'animaux qui parlent et qui
résolvent les problèmes des humains. Ainsi, ces brebis qui viennent en
aide à un berger esseulé en le connectant à Sheepskype sur internet. Ou
bien, "le chien le plus intelligent du monde", capable de dénicher
n'importe quel gibier après avoir vu son image dans un dictionnaire.
Facétieuses, incongrues, sarcastiques, saugrenues, pétillantes : tous
les qualificatifs conviennent pour ces fables délirantes et loufoques.
Gnomes surgis de la forêt, sorcières maléfiques, fantômes mélancoliques :
ils jouent tous un rôle, jusqu'à Belzébuth, en personne, lancé dans une
partie de ping-pong échevelé contre un simple mortel. Mais à quoi bon
s'échiner à tenter de décrire Pain et tempête, c'est un roman qui se
déguste le sourire en bandoulière et les yeux écarquillés devant
l'imagination de l'auteur. Le spectre du grand Edgar Poe, lui-même, fait
une apparition à la fin du livre et résume bien l'affaire : "Peur et
gaieté, parfois, sont enfermées dans la même boîte, comme un carillon
qui posséderaient deux sonneries." Bon sang, mais c'est bien sûr, à
force de se gondoler, on en oublierait presque que Stefano Benni, à la
façon des meilleurs fabulistes, nous décrit une société privée de
repères et de valeurs, toute entière livrée aux spéculateurs et aux
zélateurs de la consommation de masse. Stefano Benni est avant tout un
moraliste qui ne craint pas de caricaturer pour mieux dénoncer. Et nous,
on dit : "Grazie mille."
Un coup de chapeau à la traductrice, Marguerite Pozzoli, qui a fait des prodiges pour restituer la langue haute en couleurs de l'auteur.
Un coup de chapeau à la traductrice, Marguerite Pozzoli, qui a fait des prodiges pour restituer la langue haute en couleurs de l'auteur.