La vengeance est un plat qui se mange froid (Dernière nuit à Twisted River)

"Te mets pas les couilles à l'envers !" Comment ? Oui, le dernier John Irving est riche en expressions imagées, sorties de la bouche de Ketchum, personnage a priori secondaire, mais en fait essentiel, de Dernière nuit à Twisted River. Il n'y a pas que la rivière qui soit sinueuse, le récit d'Irving l'est tout autant, s'étalant sur une cinquantaine d'années, l'histoire d'une vengeance, plat qui ne s'est jamais mangé aussi froid. Dominic et Danny Baciagalupo, sont au coeur de ce roman foisonnant, dense, dont le principal défaut est de se perdre souvent dans des digressions superfétatoires. Dominic est cuisinier, ce qui nous vaut de multiples détails culinaires ; lui et son fils travaillent, dans les années 50, auprès d'une population de flotteurs de bois, allons-y gaiement pour une description minutieuse de leur métier. Irving n'a jamais été doué pour faire court mais là, sur 560 pages, il y a beaucoup de longueurs et pas mal de lourdeurs dans un style qu'on a connu plus fluide. Evidemment, les personnages hauts en couleur abondent et certains passages sont du pur Irving, burlesques et hilarants : cet ange qui tombe du ciel dans le plus simple appareil, ce meurtre à la poêle à frire, etc. La tonalité est pourtant sombre, plus qu'à l'accoutumée, avec cette idée que les accidents tragiques sont inévitables et gâchent une existence entière. La plupart des obsessions de l'écrivain se retrouvent dans le roman, comme recyclées : il y a des ours, des tapis de lutte (avec modération), une relation père/fils compliqué... On peut y voir aussi un aspect autobiographique, puisque Danny Baciagalupo est écrivain et qu'il finit par rédiger le même livre qu'Irving. A noter aussi que le romancier a rarement été aussi violent dans sa vision de la politique américaine, de la guerre du Vietnam à l'Irak. Un "pays de merde" comme dit Ketchum, dont la verve grossière et libératrice sont sans nul doute l'expression des sentiments d'Irving. Un Ketchum dont la présence tutélaire, grotesque et vaguement inquiétante traverse une moitié de siècle dans un roman, certes pas le meilleur de son auteur, mais qui finit par en imposer, quels que soient ses défauts, par son ampleur et sa luxuriance.



27/01/2011
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 9 autres membres