Le langage des cygnes (Black Swan)
Il est presque indécent de parler de Black Swan,
tellement ce film se situe du côté de l'intime, dans sa description
organique d'une métamorphose qui conduit à la folie et à la mort. Le
sentiment qui domine chez le spectateur hagard est que Aronofsky est
allé au bout de son ambition artistique, qu'il y a mis ses tripes et ses
talents de manipulateur jusqu'à l'extrême limite. Le film n'est pas si
éloigné de The Wrestler, d'ailleurs, avec cette souffrance des corps
jusqu'au sang et cette envie de tout sacrifier pour sa quête, quitte à
s'auto-détruire, au passage. Dans Les chaussons rouges, Michael Powell
sublimait son récit dans des teintes écarlates, au service d'un
romantisme aussi raffiné que morbide. 60 ans plus tard, Aronofsky
reprend le flambeau et livre une version toute personnelle, plus
explicite, barbare, qui ne fait pas dans la joliesse (le grain numérique
des images) ni dans la dentelle. La symbolique du passage à l'âge
adulte est grossière, encombrée d'un lourd paquet de clichés (la mère
castratrice, la rivale perfide, le pygmalion tyrannique, le dédoublement
schizophrénique, les fantasmes sexuels ...) : c'est voulu et assumé.
Quelques scènes dignes d'un mauvais film d'horreur sont en revanche
inutiles. Broutilles. Et puis, comment ne pas être soufflé par la
performance de Natalie Portman, époustouflante dans une dernière
demi-heure orgasmique où le cygne noir prend le dessus sur le blanc, qui
n'est rien d'autre qu'un canard un peu embelli, n'est-il pas ? Il
parait que le cygne, dédié à Apollon dans la mythologie grecque,
chanterait davantage et avec plus de force, juste avant de mourir.
Aronofsky, qui sait tout du langage des cygnes, a transposé cette agonie
extrême à la danse. D'où le sentiment d'hébétude qui habite le
spectateur au final, K.O pour le compte. Incapable de dire s'il a vu un
chef d'oeuvre, peut-être pas, mais un film monstrueux, ça, oui, pour
sûr.